Marc Hazart, groupe Physique du SNES

Dokéos, « simple » plate-forme d’apprentissage en ligne ?

Points de vue de physiciens

Publié le juin 2009

Depuis quelques années, le système éducatif prend conscience de la nécessité d’intégrer l’outil informatique au sein des pratiques de classe. Dans le paysage numérique devenu florissant, nous vous présentons Dokéos, une plate-forme d’apprentissage en ligne, choisie parmi bien d’autres (Claroline, AnaXagora, Moodle, etc.). Pourquoi Dokéos ? Parce que l’utilisation de cette plate-forme connaît actuellement un essor important, notamment auprès des collèges et lycées de la région PACA.

Sur cette page :

| Que propose une telle plate-forme ? | Des questions pour décider de l’usage qu’on en fera (ferait) ? |
Morceaux choisis | Pour en savoir plus sur le travail collaboratif |

size="2">Que propose une telle plate-forme ?}

En premier lieu, l’outil propose au professeur de partager des documents, de les rendre accessibles à un public ciblé (élèves, groupes, classes entières), à la fois au sein de l’établissement et au domicile des élèves. Il permet en outre de mettre en place un cours complet, par séquences, avec la possibilité d’évaluer des acquis étape par étape. Il existe aussi des fonctionnalités bien plus complexes comme la vidéo conférence.

Bien que revendiquant un public large, Dokéos s’adresse en premier lieu au monde de l’entreprise. Le site de présentation en ligne ne mentionne d’ailleurs dans ses « clients » que de grosses entreprises du secteur médical et des administrations. Cette plate-forme de travail offre la possibilité de mettre en place un programme complet de formation interne en ligne, pour « optimiser les ressources humaines disponibles et améliorer la productivité ». Nous recommandons, au lecteur désireux de se former sa propre opinion, la lecture du « guide Dokéos pour la gestion de projet e-learning ».

Mais, alors que Dokéos s’installe petit à petit au sein des pratiques de classe, la question de sa pertinence dans le cadre scolaire n’a pas été réellement posée à la communauté des enseignants...

Bien sûr, l’outil semble conçu pour laisser la maîtrise à l’utilisateur : le professeur y met lui-même son propre cours, il en reste donc le concepteur et l’unique garant. Mais il convient de dépasser l’effet de nouveauté lié à l’outil et de prendre la mesure des changements pédagogiques et didactiques induits par son utilisation. Ainsi, ces plates-formes, reconnues comme efficaces dans le monde de l’entreprise, présentent des caractéristiques propres à la formation :

– C’est un enseignement de type essentiellement transmissif, même si certaines fonctionnalités apportent une interactivité intéressante (didacticiels, évaluation diagnostique en temps réel, partage de documents numériques, etc.) et si le partage de liens ou de médias peut être l’occasion de multiplier les supports et d’accroître l’intérêt des élèves.

– Dans le cadre d’une utilisation systématique de Dokéos, le formateur – que les concepteurs n’appellent pas enseignant – peut dresser un parcours pour les stagiaires, jalonné d’étapes d’évaluations qui devront être validées. On se place donc dans une logique cumulative des apprentissages.

– Enfin, Dokéos revendique explicitement l’approche par compétences, dont le guide tente de donner une définition qui paraît très restrictive, « ce que les stagiaires seront capables de faire ». Cette approche est mise en opposition frontale avec les contenus, définis par « ce que les stagiaires sauront ». « Connaître » devient « lister » si l’on raisonne par compétence, « comprendre » devient « répondre correctement à un QCM », « appliquer » devient « remplir un formulaire »...


Des questions pour décider de l’usage qu’on en fera (ferait) ?}

Est-il possible de s’approprier cet outil sans en partager la philosophie, celle de l’entreprise qui cherche en priorité à ce que les connaissances soient rapidement applicables ? Peut-on transformer une séance de formation en séance d’enseignement, en remplaçant le stagiaire par l’élève ? Qu’est-il possible d’apprendre par l’usage d’une telle plate-forme ? Comment y apprend-on ?

L’écriture mathématique pose encore des problèmes importants, il n’est donc pas possible pour l’instant d’évaluer une démonstration, une démarche, puisque l’on doit s’en tenir à valider un résultat final. Peut-on en sciences physiques évaluer la capacité à construire une argumentation, à formuler une réponse, à synthétiser, par des QCM ? Que dire de la démarche expérimentale ?

Certes, les vidéos de manipulations foisonnent sur Internet, elles sont de plus en plus réussies d’un point de vue esthétique, avec des montages efficaces, des légendes, un environnement standardisé, un fond blanc, un cadrage qui va jusqu’à occulter les fils de branchements ! Mais voir n’est pas expérimenter car expérimenter c’est accepter de laisser place à l’erreur, au tâtonnement, à l’incertitude, à la possibilité que « cela ne marche pas », bref à ce qui fait le quotidien des chercheurs ! Il ne suffit pas de voir pour se confronter à « la résistance du réel ». Et puis, comment remplacer l’enthousiasme des jeunes qui agitent une fiole dont la couleur vire au bleue ?

Enfin, on peut se demander quelle est la place des rapports interpersonnels pour des contenus qui nécessitent des débats pour se construire. Alors que les méthodes « actives », comme la démarche d’investigation, ne cessent de prôner le groupe comme vecteur d’apprentissage, l’utilisation d’une plate-forme numérique le segmente en renvoyant l’élève vers un apprentissage individuel où la machine est l’interlocuteur.

A posteriori, on s’aperçoit que la communauté des internautes a rapidement trouvé un palliatif à l’isolement par la création des blogs, recréant des débats malgré la séparation physique des gens. Des connaissances peuvent s’y construire, souvent sous la forme d’entraide, de coups de pouce, quelques fois bien loin des canons de l’école, mais ce sont autant de signes qui montrent que l’apprentissage est avant tout une affaire d’échange.

Le comble serait sans doute de transformer la classe en une communauté de chercheurs virtuels qui ne s’interpelleraient plus directement mais seulement par le biais de la machine pendant les heures de classe et en dehors de l’école… Car au delà de la préoccupation pédagogique, le risque d’externalisation du travail en dehors de la classe, là où précisément les inégalités sociales se renforcent pour les plus jeunes, apparaît important. Disposer à domicile du matériel n’entraîne pas automatiquement le bon accès à une information numérique choisie, ni à une pratique raisonnée de l’informatique. La fracture numérique ne se résume pas à l’équipement ou à un accès Internet : elle se fait au travers de l’hétérogénéité des pratiques, de l’hétérogénéité de l’accompagnement familial et de l’autonomie que l’utilisateur conserve face à l’outil.

Peut-on conclure ?

Certes, ces plates-formes ne vont pas de sitôt remplacer massivement les professeurs, puisqu’un encadrement humain semble bien nécessaire dans un apprentissage scolaire. Le guide le rappelle à juste titre : 70% des projets en e-learning échouent ! Aborder la question de cette façon serait d’ailleurs bien réducteur : l’utilisation de ces outils interroge directement les objectifs de l’apprentissage, la relation des élèves aux savoirs, les modalités d’interactions interpersonnelles et la mise en œuvre d’évaluations fiables.

Leur utilisation n’est donc pas anodine et il est nécessaire de bien cerner les enjeux de chaque séance et les objectifs poursuivis, afin de dépasser l’effet gadget. Il est certainement possible de faire de la nouveauté un progrès, à condition de mettre en place une utilisation raisonnée de l’outil et d’en faire autre chose qu’un outil d’enseignement « à distance » utilisé par des élèves pourtant tous présents ensemble en classe, « coachés » par un professeur heureux d’être promu au rang d’e-learning-projet leader !


Morceaux choisis}

Extrait de la définition de Dokéos par Wikipédia

« Dokeos est une plate-forme d’apprentissage en ligne sous licence libre (GPL). Son architecture lui permet de supporter 34 langues. [...] Dokeos est aussi un réseau de sociétés de services qui fournissent du conseil et d’autres services : hébergement, développement, formation. » Site officiel : http://www.dokeos.com/.

Petit extrait du guide Dokéos pour la gestion de projet e-learning

« Ce guide est le résultat d’une série de collaborations avec des responsables ressources humaines et responsables de formation. Dans la plupart des cas, ces départements souhaitaient déployer un programme de formation en e-learning pour augmenter la flexibilité de l’offre de formation, rendre les formations plus accessibles, les horaires plus flexibles, optimiser les ressources humaines disponibles et améliorer la productivité. Ce document définit des lignes de conduite pour la phase pilote d’un tel projet. » Voir http://www.dokeos.com/node/94.

Visiter un Dokeos d’établissement ?

L’accès est réservé, c’est donc un outil partagé par une communauté définie. Pour se distraire on peut cependant s’initier sans mot de passe aux « mesures pifométriques » sur le Dokéos encore peu exploité du lycée J. Perrin de Marseille ou, pour en savoir plus, accéder à un dossier en espace public au lycée Fourcade de Gardanne. Mais pas, à notre connaissance, de site à large accès public montrant la diversité des applications...


Pour en savoir plus sur le travail collaboratif }

Dans le dernier numéro des Dossiers de l’ingénierie éducative, le « point d’actu » est consacré à ce sujet.


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